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Ce n’est pas en évitant d’agir que l’on acquiert la liberté d’action. Ce n’est pas par la simple renonciation que l’on atteint la perfection suprême.

Queets Twisp l’Ancien

Conversations zavatariennes avec l’Avata.

 

Twisp avait toujours pensé que les « loges » étaient bien nommées. Il y en avait un grand nombre sous la montagne, une pour chaque membre du Conseil et pour les équipes techniques en plus des salles de réunion et des cellules où ils dormaient. Les installations étaient rudimentaires en comparaison des normes siréniennes, et primitives à côté de celles du Directeur. Des équipes travaillaient en ce moment à la réfection des secteurs endommagés par le grand séisme de l’année passée, déjà désigné dans l’histoire orale sous le nom de « catastrophe de 82 ».

Dans le corridor qui faisait face à l’ascenseur, une porte donnait sur la loge personnelle de Twisp, creusée dans la roche noire et luisante. Il poussa la porte ovale et fit signe d’entrer au jeune moine médusé.

— Assieds-toi là.

Twisp indiqua un lit bas, à gauche de l’entrée, fait de matériaux organiques tout comme le canisiège qui se trouvait à côté. Tout ce qu’il y avait dans cette pièce rappelait une cabine sirénienne. Elle ne faisait pas plus de quatre mètres carrés.

Les parois de roche noire étaient presque entièrement tapissées de rayonnages remplis de centaines de livres. Il y avait là surtout des ouvrages en papier de varech, aux bords tout déchirés. Quand Twisp était pêcheur, il n’avait connu ni l’holovision, ni les écrans de lecture. Le grossier papier de varech et les presses artisanales servaient à faire circuler dans toutes les petites communautés la littérature et les nouvelles disponibles.

Twisp referma la porte et se tourna vers Mose en souriant.

— Tu peux m’emprunter tous les livres que tu voudras, dit-il. Ils s’ennuient sur les rayons.

Mose baissa la tête en tordant l’une dans l’autre ses mains aux ongles rongés.

— Je… je ne vous l’ai jamais avoué, bredouilla-t-il, mais je ne sais pas lire.

— Je sais. Tu caches bien ton jeu. Il m’a fallu du temps pour m’en apercevoir.

— Et vous n’avez rien dit ?

— C’était à toi de juger quand le moment viendrait. On trouve toujours quelqu’un pour enseigner ces choses-là, mais ça ne sert à rien tant que l’élève n’est pas prêt. C’est très facile d’apprendre à lire. Ecrire, c’est différent…

— Je n’ai jamais été très doué pour apprendre.

— Ne t’en fais pas. Tu as bien appris à parler ! Lire, ce n’est pas plus difficile. On prendra le café ensemble pendant un mois et tu sauras lire après ça. On pourrait commencer déjà par faire du café, qu’est-ce que tu en dis ? Tu prendras ta première leçon après.

Mose hocha la tête, les yeux brillants. Côté surface, parmi les autres Zavatariens, ce n’était pas souvent qu’il avait l’occasion de boire du café depuis que le Directeur contrôlait toute la production. Mais il avait fait vœu de pauvreté zavatarienne, ce qui le plaçait tout de même un cran au-dessus de la pauvreté qu’avait connue sa famille. Chez les Zavatariens, il avait appris qu’il fallait ne s’attendre à rien et profiter de tout.

Twisp se pencha pour tout préparer, ses longs bras à demi repliés sur ses hanches face à la table à côté de laquelle se trouvaient un évier mural, une cuisinière et un réfrigérateur encastré dans une niche de la paroi. Mose se laissa aller sur le vieux lit en le laissant épouser la forme de son corps. Il le trouvait infiniment plus agréable que la maigre paillasse dont il disposait côté surface. Sur une étagère près du lit se trouvaient plusieurs cubes holo, la plupart représentant un jeune homme aux cheveux roux et une jeune femme menue, à la peau foncée.

— La réunion va commencer bientôt, Mose, annonça Twisp.

Il soupira, sans se retourner, tandis que ses bras démesurés semblaient retomber un peu plus vers le sol. Il versa deux ou trois cuillerées de café odoriférant dans une petite bouilloire.

— On va nous servir une soupe, là-bas, selon l’ancienne coutume, dit-il. Sinon, je t’aurais proposé de manger quelque chose ici. Ma cabine est la tienne. Cette porte conduit aux toilettes. Celle-là (il indiqua d’un signe de tête l’endroit par où ils étaient entrés) mène à la loge du Conseil. Prépare-toi à voir des gens de toutes sortes faire des choses qui te sembleront étranges.

— C’est ce qui s’est passé toute ma vie.

— Eh bien, fit Twisp en riant, tu ne seras pas trop dépaysé ici. Te rappelles-tu le serment que l’on t’a fait prêter lorsque tu es entré dans les rangs des Zavatariens ?

— Oui, l’Ancien. Naturellement que je m’en souviens.

— Peux-tu me le répéter ?

Mose s’éclaircit la voix et se redressa légèrement sur le lit, bien que Twisp lui tournât toujours le dos.

— « Je fais serment de ne jamais commettre à partir d’aujourd’hui le moindre larcin ni le moindre vol de récolte ou de nourriture, de ne pas me livrer au pillage ni à la destruction des demeures d’autrui. Je promets de laisser les habitants de chaque lieu aller et venir à leur guise, sans être importunés, sur les lieux de leur résidence. Je jure tout cela de mes deux mains levées. Je ne causerai pas de torts ni de destructions, même s’il s’agit de venger la chair et le sang. Je n’aurai que de bonnes pensées, de bonnes paroles et de bonnes actions. »

— C’est très bien récité, dit Twisp en tendant au jeune Mose sa tasse de café fumant. Tu es ici parce que le Conseil a besoin de connaître ton opinion. Nous avons à prendre aujourd’hui une décision lourde de conséquences. Jamais le Conseil n’a eu à faire face à un si grand dilemme. Il va falloir peut-être demander à tous les Zavatariens de rompre leur serment, en particulier la partie où il est question de venger la chair et le sang. Nous avons besoin que tu assistes à cette assemblée pour nous donner ton avis, qui nous aidera à décider si nous devons enfreindre le serment ou non.

Twisp avala une gorgée de café. Toujours debout, il nota le tremblement des mains du jeune moine, aux ongles rongés.

— As-tu déjà une opinion sur cette question, Mose ?

— Oui, l’Ancien. J’en ai une.

Il n’y avait pas eu d’hésitation dans la voix de Mose et le tremblement de ses mains avait cessé.

— Lorsqu’on prête serment, dit-il, c’est… pour la vie. J’ai juré de respecter ce serment toute ma vie. Et je ne dois pas me parjurer.

Mose souligna cette déclaration d’un bref hochement de tête, mais sans relever ses yeux baissés.

Ils ont si peur, se dit Twisp. Ce monde est plus habitable qu’il ne l’a jamais été, mais ils ont tous si peur, même de leurs plus proches voisins.

Un coup frappé à la porte de la loge les fit sursauter tous les deux. Twisp ouvrit à une jeune femme aux cheveux roux qui tenait à la main un porte-papiers. Elle avait une silhouette avenante, que mettait en valeur l’uniforme gris du Clan du Varech. Son nom, indiqué sur sa poche de poitrine gauche, était Snej. Ses yeux bleus étaient cernés de paupières rougies et gonflées.

Elle pleure !

— L’assemblée se réunit dans cinq minutes, monsieur, dit-elle en reniflant aussi discrètement que possible. Voici les derniers renseignements en notre possession… (Son regard soutenait celui de Twisp, mais sa voix n’était plus qu’un souffle.) Le Projet Déesse semble être compromis, monsieur. Pas un signe de vie de leur part depuis des heures…

Ses lèvres tremblaient sous l’effort qu’elle faisait pour les maîtriser et de nouvelles larmes coulèrent sur ses paupières enflées. Il vit la même expression déprimée sur le visage des autres personnes qui attendaient dans le couloir.

— LaPush nous transmettait des impulsions toutes les heures avec sa caméra, dit-il.

— Nous avons également un problème de communication sur toutes les fréquences, reprit Snej, à l’exception de celles du varech, qui restent claires. Les autres sont toutes brouillées. Mais pas tout le temps. Nous avons pensé à une activité solaire, mais cela n’y ressemble pas vraiment. Le brouillage est trop sélectif.

Elle prit un mouchoir dans sa manche et souffla dedans.

— Vous paraissez bouleversée, lui dit Twisp. Puis-je faire quelque chose ?

— Oui, monsieur. Vous pouvez me ramener mon Rico. Je sais que Crista Galli est importante… la plus importante… mais…

— Vous êtes de service à la salle des consoles aujourd’hui ?

Elle fit oui de la tête, en se séchant les yeux avec sa manche.

— Concentrez vos efforts sur les communications en provenance ou à destination de la résidence du Directeur. Faites parvenir immédiatement à la loge du Conseil toutes les informations que vous aurez. Nous les ferons revenir. Rico et Ozette n’ont pas l’habitude de céder à la panique sous le feu de l’ennemi.

Ces paroles semblèrent redonner confiance à la jeune femme. Elle se moucha de nouveau et redressa les épaules.

— Merci, dit-elle. Excusez-moi… Il faut que je retourne là-bas. Merci beaucoup.

Mose suivit Twisp dans le couloir et ils se dirigèrent vers la grande salle d’information pleine de monde, surmontée d’une haute voûte. Mose reconnut au passage quelques-uns des réfugiés du village qu’il avait vus passer dans la caverne là-haut. Ils portaient tous soit la même combinaison-uniforme que Snej, soit le vêtement de bure qui dénotait leur appartenance au nouveau clan des Gardiens du Sol.

Les pas de Twisp adoptèrent une allure plus jeune que ses cheveux gris lorsqu’il traversa le pont de cette salle encombrée de tables, d’écrans, de piles de papiers et de câbles serpentant partout. C’était sa vie, l’œuvre de toutes ces dernières vingt-cinq années. Le Quartier central, le cœur du monde mystérieux des Enfants de l’Ombre.

— Flatterie nous croit installés à Victoria, avait déclaré Twisp au Conseil au début des événements, et je veux que le reste du monde le croie aussi. Les Enfants de l’Ombre doivent demeurer une illusion, une fiction que nous nous chargerons d’entretenir. L’enjeu de tout cela est la planète entière, peut-être même chaque vie humaine sur la planète. Nous devons tous avoir suffisamment de patience.

Il espérait qu’il leur en restait encore.

Il retira quelques caisses posées sur un vieux canisiège et fit signe à Mose de s’asseoir. Un grand panneau de plaz les séparait de la salle des techniciens où régnait un calme étrange. Twisp aperçut Snej, qui lui fit un signe de tête en s’efforçant de sourire.

Cette fille aux cheveux roux lui rappelait un peu l’ambassadrice Kareen Ale, une de ses amies qui avait été parmi les premières victimes des escadrons de la mort de Flatterie.

Elle a sauvé des quantités de vies humaines. Et elle était si belle…

Il chassa ce souvenir pénible et s’installa sur la banquette de sa console. Les banquettes des autres membres du Conseil étaient disposées, ainsi que la sienne, comme les rayons d’une roue, chacune donnant accès à un pupitre de commande avec un écran et un foyer holo central.

Twisp se débarrassa de sa robe de moine élimée. Dessous, il portait la combinaison rouille du Clan des Gyflottes. Sur sa poitrine, l’insigne aux mains entrelacées représentait les Enfants de l’Ombre. Comme Twisp, chacun des trois autres consuls était accompagné d’un témoin civil. L’une des banquettes était demeurée vide et son écran éteint.

Les trois autres témoins, comme Mose, regardaient avec de grands yeux les cartes d’état-major et les statistiques étalées devant eux. Twisp s’éclaircit la voix et prononça les paroles terribles et toutes simples que certains membres du Conseil attendaient de lui depuis plus de vingt ans :

— Mes frères et mes sœurs, le moment est venu.

Après avoir béni la nourriture à l’ancienne manière, ils partagèrent la soupière rituelle en silence. C’était un bouillon îlien de facture classique, presque aussi clair que de l’eau, avec quelques murelles orange lovées au fond du récipient. Des rondelles d’oignon flottaient à la surface, répandant leur parfum dans toute la loge.

La banquette vide était celle de Nano Macintosh, rescapé du même caisson hyber que le Directeur, Raja Flatterie. Macintosh avait rejeté la cupidité qui animait Flatterie au profit de la philosophie zavatarienne plus proche du zen. Il se rasait la tête, disait-il, « en signe de deuil pour la perte de l’âme de Flatterie et pour ne pas oublier de conserver la mienne ».

Plusieurs années auparavant, Macintosh et Flatterie avaient eu, en de fréquentes occasions, de vifs désaccords. La rumeur publique prétendait que si le Directeur avait fait transférer le Contrôle des Courants sur l’Orbiteur, c’était essentiellement pour éloigner Macintosh. Celui-ci avait récemment mis au point un système de communication utilisant uniquement le varech comme support. Toutes les consoles qui se trouvaient dans les loges étaient reliées au varech. Grâce à un code, également conçu par Macintosh, chaque console avait la possibilité de communiquer directement avec le Contrôle des Courants.

J’espère que nous pourrons garder ces canaux ouverts, se disait Twisp. Le brouillage ne concerne peut-être que les canaux traditionnels. S’il s’agit d’activité solaire, les voies de communication du varech seront probablement épargnées.

Il prit mentalement note de demander plus tard à Snej de vérifier le réseau du varech pour voir si elle ne retrouvait pas trace du film de Rico. Avec un peu de chance, il avait peut-être été conservé sous cette forme.

Après la soupe rituelle, Twisp écouta calmement les déclarations de chacun, prononcées de la manière la plus calme malgré leur contenu explosif susceptible de semer la mort sur la planète entière. Tous les visages à l’intérieur de la loge reflétaient l’extrême gravité de la situation. Tous s’accordaient à dire que le moment était venu. L’important était qu’ils se mettent d’accord pour savoir de quoi exactement c’était le moment.

Vénus Brass, leur doyenne âgée de soixante-quinze ans, avait vu assassiner son mari et ses enfants sur ordre du Directeur. Elle-même avait échappé d’un cheveu à la mort. C’était une Ilienne à la démarche lourde, au grand cœur, qui avait bâti avec son mari un empire de la distribution alimentaire. Flatterie avait fait main basse sur tout cela ; et leur compagnie, qui assurait, en échange d’un pourcentage sur les prises, le transport du poisson et d’autres marchandises fournies par de petits exploitants comme Twisp à destination des marchés publics, avait été absorbée par la Sirénienne de Commerce. Toute la distribution était aujourd’hui aux mains de Flatterie, aux conditions et aux endroits qu’il fixait, moyennant des droits d’entrée si élevés que toute exploitation individuelle était exclue.

Kaleb Norton-Wang, l’héritier légitime des anciens propriétaires de la Sirénienne de Commerce, était, à vingt-trois ans, le plus jeune des quatre consuls. C’était le fils de Scudi Wang (elle-même héritière de la Sirénienne de Commerce) et de Brett Norton, l’ex-associé de Twisp quand il était pêcheur. Kaleb avait vu mourir ses parents dans l’explosion mystérieuse de leur bateau, une nuit, quand ils étaient à quai. C’était avant que l’on ne commence à soupçonner Flatterie chaque fois que de tels accidents survenaient. Kaleb, qui n’avait que dix ans à cette époque-là, se trouvait à quelques mètres de là, sur le quai, occupé à jouer avec d’autres enfants de son âge. Il se souvenait que les conversations entre son père et sa mère n’avaient porté, les derniers mois, que sur les manœuvres de Flatterie en vue de s’emparer du contrôle de la Sirénienne de Commerce.

Twisp, réveillé en sursaut à bord de son coracle tout proche, avait trouvé le jeune garçon en train de hurler sur le quai devant le bateau en flammes. Ils s’étaient réfugiés ensemble dans les Hautes Marches inhospitalières. Comme son défunt père, Kaleb avait le don de voir dans l’obscurité. La très grande vivacité d’esprit de sa mère et son allégeance personnelle au varech lui avaient transmis une remarquable intelligence. Comme sa mère, il était capable de communiquer directement avec le varech par simple contact. Mais il lui était douloureux de retrouver dans le varech les souvenirs encore intacts de ses parents, de sorte qu’il se risquait rarement à explorer les voies mentales du varech.

Il y a en lui trop d’amertume, se disait Twisp. L’amertume est un poids qui vous entraîne à commettre des erreurs inacceptables.

Il n’avait pas beaucoup vu Kaleb, ces derniers temps. Son secteur était Victoria, le seul fief solide de Flatterie dans les régions du nord. Twisp redoutait que Kaleb ne profite de son commandement pour exercer une vengeance personnelle sur Flatterie et ses hommes. Il espérait qu’il avait inculqué suffisamment de sagesse au jeune homme pour qu’il ne réagisse pas devant Flatterie de la même manière que ce dernier devant les parents de Kaleb.

Les régions intérieures du nord étaient représentées par Mona Platelle, une femme d’âge moyen, au visage couperosé, qui avait la parole en ce moment.

— Notre situation est des plus confortables, était-elle en train de dire.

Ses yeux bruns à l’éclat profond jetaient des éclairs et sa voix légèrement enrouée avait l’accent chantant des Iliens tandis qu’elle poursuivait :

— Dans chaque maison, nous avons des provisions pour six mois. Nos réserves sont suffisantes pour nous permettre de faire face à un afflux important de réfugiés jusqu’à la prochaine récolte. Le consul des régions côtières me dit que la situation est à peu près la même en ce qui concerne les réserves de poisson.

Vénus Brass hocha la tête pour confirmer.

— Très franchement, continua Mona, je ne crois pas que nos hommes aient très envie de redescendre ici pour se battre. Ils sont partis pour échapper à tout ça. Ils ont organisé leur vie d’une manière agréable dans les régions du nord et tout ce qu’ils désirent c’est qu’on les laisse tranquilles, ils accepteront parmi eux, comme toujours, tous ceux qui viendront de bonne foi chercher refuge. Naturellement, les dispositions habituelles continueront d’être prises pour assurer la défense, mais je dois insister sur le fait qu’ils n’ont pas du tout envie de tuer des gens.

De nouveau, Vénus Brass hocha la tête en signe d’assentiment. Elle parla d’une voix chevrotante et haut perchée qui contrastait avec celle de Mona :

— C’est la même chose chez nous. La mer offre à nos jeunes un moyen d’échapper à ce qu’ils appellent « la situation ». Ils sont braves et vaillants. Ils représentent une force de bataille non négligeable. Mais comme le peuple de Kaleb, ils sont obligés de côtoyer les partisans de Flatterie quand ils ne sont pas en mer. Ils vivent avec eux, ils font du commerce avec eux, ils ont des liens de famille avec eux. Ils ne veulent pas tuer, en particulier des membres de leur propre famille. Vous avez vu de quelle manière Flatterie a réparti ses troupes pour éviter ce genre de problème…

Blam !

Le poing de Kaleb venait de s’abattre sur son pupitre, faisant sursauter tout le monde. Twisp avait, par réflexe, crispé le poing. Il le décrispa lentement sur son genou.

— Flatterie ne pourrait pas rêver d’un meilleur Conseil ! s’écria Kaleb d’une voix aux intonations amères que Twisp avait trop souvent entendues dans sa bouche ces derniers temps. Nous voilà tous en train d’examiner les différentes manières de ne rien faire pour mettre un terme à sa folie, à ses assassinats en masse. N’y a-t-il donc ici personne en dehors de moi qui ait assisté à ce qui s’est passé là-bas aujourd’hui ?

— Parler de ce que nous refusons de faire est un préambule à…

— Un préambule à rien du tout, comme d’habitude ! interrompit Kaleb. La seule vérité historique est que des humains ont faim uniquement parce que d’autres humains le veulent bien. Nous ne devons pas permettre qu’un tel état de choses continue. Pas un seul jour de plus, pas une seule heure de plus.

Vénus eut un mouvement de recul, comme si elle venait d’être giflée. Puis elle croisa les bras sur sa poitrine étroite.

— Est-ce que ce sont vos hommes qui ont provoqué les événements d’aujourd’hui ? demanda-t-elle.

Kaleb sourit avec une exubérance qui accentuait son apparence juvénile.

En voilà un qui a bien rempli ses années, se dit Twisp. Assez, en tout cas, pour savoir à quel moment il doit se servir de ce sourire-là.

— C’est Flatterie qui en porte la responsabilité, déclara Kaleb. Et j’ai un autre plan à soumettre à cette assemblée, un plan un peu plus conforme à nos idéaux. Mon clan l’a approuvé et mes premiers contacts indiquent que beaucoup des vôtres sont prêts à l’approuver aussi.

— Mais que se passera-t-il ensuite ? fit Mona d’une voix sifflante, en se penchant en avant. Quoi que nous fassions, l’attention de Flatterie sera attirée et il enverra sa sécurité pour…

C’était un vieil argument, mais Kaleb la laissa l’exposer jusqu’au bout. À un moment, son regard croisa celui de Twisp. La lueur d’enthousiasme impatient qui brillait dans ses jeunes yeux lui rappela le père de Kaleb quand il avait son âge. Rusé, audacieux et impétueux. Brett Norton avait dû tuer, lui aussi, par réflexe ; mais en tuant, il avait sauvé Twisp et la mère de Kaleb.

Mona acheva d’exposer la position de son clan.

— Ils veulent bien héberger des réfugiés, dit-elle, mais ils refusent de renoncer à tout ce qu’ils ont bâti à partir de rien. Il est plus simple de continuer à se dissimuler aux yeux de l’ennemi que de l’affronter ouvertement.

— Je comprends, répondit Kaleb. C’est la méthode du raprap. Mais il y a une chose que vous oubliez à propos des raps. Si un seul rap est affamé, c’est que toute la meute a faim. Notre plan, et toute notre raison d’être depuis le début, consiste justement à faire en sorte de nourrir la meute sans oublier personne.

Twisp réprima juste à temps un sourire.

On dirait qu’il n’a pas oublié mes radotages sur les rapraps, finalement.

Il n’y avait pas de hiérarchie au sein du Conseil en ce qui concernait les votes. Chacun voterait pour ou contre l’action envisagée et tout le monde suivrait finalement la majorité.

— Nous avons tous un plan d’action à proposer, déclara Twisp. Il s’agit de fondre tout cela en un programme unique. Je vous rappelle que le Projet Déesse a maintenant quatre heures de retard sur l’horaire prévu pour son passage dans la région du nord. L’assemblée devra également en tenir compte.

Un murmure courut autour de la grande table. Les quatre témoins civils, qui avaient l’air pâle et apeuré depuis leur arrivée, semblaient vouloir se faire encore plus petits devant l’agitation du Conseil. Twisp leva la main pour rétablir le silence.

— Nous n’avons pas qu’un seul poisson dans notre panier, heureusement, dit-il. Je vous demande un peu de patience.

Il vit qu’un message arrivait sur le pupitre de Nano Macintosh et fit un signe de tête à Snej pour qu’elle en prenne connaissance. Il poursuivit :

— Flatterie a exercé jusqu’ici sa domination par la peur et par la faim. Ses motifs sont à présent évidents : fuir cette planète, aux commandes d’une nef spatiale. Nous n’avons pas d’objection à être débarrassés de lui, n’est-ce pas ?

Plusieurs membres du Conseil hochèrent la tête, Mona intervint :

— Il a l’intention de prendre avec lui trois mille de nos meilleurs jeunes, en nous laissant sa maudite force de sécurité…

— Ils sont tous volontaires pour partir, objecta Twisp. S’ils veulent aller coloniser le vide, cela devrait être leur droit. La seule chose qui nous intéresse est que nous serons débarrassés de lui. Mais il nous faut démanteler sa machine de pouvoir avant son départ. Nous devons le destituer et faire en sorte qu’il n’y ait pas de retour possible pour lui. Notre devoir est de régler le sort des criminels sans pour autant devenir nous-mêmes des criminels. Si nous agissons autrement, nos enfants et nous sommes condamnés.

Snej avait pris connaissance du message envoyé de l’Orbiteur par Macintosh.

— Twisp… dit-elle. Ceux du Projet Déesse ont été… interceptés.

— Interceptés ? C’est toujours mieux que « portés disparus ». Où sont-ils en ce moment ? Et entre les mains de qui ?

— Du varech, semble-t-il. D’après le docteur Macintosh, le varech aurait senti la présence de Crista Galli et décidé de la reprendre. Il dit qu’il ne contrôle plus la grille, mais il peut toujours communiquer avec nous par le canal du varech.

— Est-ce qu’il a fait un rapport complet sur la situation ? demanda Twisp.

Il se massa le front pour chasser une migraine qui commençait à se faire sentir. Aujourd’hui plus que les autres jours, il ressentait le poids de son second demi-siècle de vie. Snej lui tendit un messager qu’il connecta à son pupitre.

— Le varech du secteur 8 a détourné leur hydroptère vers le centre du gisement, annonça la voix de Mack. Il a pour cela modifié la configuration de plusieurs couloirs de circulation et causé des avaries à un nombre indéterminé de vaisseaux. Plusieurs subas sont portés disparus. Le nombre des blessés et des morts est encore inconnu. Le Contrôle des Courants a essayé d’utiliser les différents moyens de « persuasion » à sa disposition, conformément aux instructions permanentes de Flatterie, mais sans résultat jusqu’à présent…

Les murmures reprirent de plus belle autour de la table. Twisp était sidéré comme les autres.

Le varech leur a résisté. C’est le signe que nous attendions.

— Avons-nous quelqu’un dans ce secteur ? demanda Kaleb. Quelqu’un qui appartienne au Clan du Varech et qui puisse nous expliquer ce qui se passe ?

Mona fit courir ses doigts sur son pupitre.

— Oui, dit-elle. Il y a un Oracle côté terre non loin de cette position, avec pas mal de personnel.

— Si la navigation est perturbée dans ce secteur, ils ont probablement de graves ennuis eux aussi, déclara Vénus. Je vais essayer d’envoyer un suba ; mais si vous voulez mon avis, personne ne doit pouvoir passer à l’heure actuelle.

— Ce qu’il faut, intervint Twisp, c’est nous opposer par tous les moyens à tout ce que Flatterie va maintenant essayer de faire. Partout où il enverra des hommes, nous devrons nous trouver sur leur chemin pour contrer leurs mouvements. Il faut qu’il soit frustré dans chacune de ses actions. Est-ce que son intervention au niveau du Contrôle des Courants indique qu’il nous a percés à jour ?

— C’est possible, répondit Snej avec une grimace. Mais j’en doute.

— Demandez au docteur Macintosh de cesser toute activité au Contrôle des Courants. Il y aura des représailles, vous vous en doutez, mais nous en savons plus que quiconque sur la manière de se déplacer dans le sein du varech et il est de notre côté dans la plupart des cas. Dorénavant, la circulation maritime sera bloquée sur toute la planète. Vous savez tous, bien sûr, quels sont les dangers de cette situation.

Twisp, qui avait parcouru presque toute sa vie les océans à bord de son coracle de pêche, savait mieux qu’aucun d’entre eux à quel sort ils venaient de condamner des milliers de personnes qui se trouvaient en ce moment sous la mer ou à la surface. D’innombrables innocents allaient se retrouver en perdition dans des eaux devenues impropres à la navigation, face à un varech quelquefois hostile. Mais les dés avaient déjà été jetés, et par Flatterie en personne.

— La réussite ou l’échec dépendent entièrement de la bonne coopération de tous les peuples de Pandore, dit-il. Nous allons l’affamer. Nous allons lutter par la faim contre la faim et par la peur contre la peur.

Kaleb l’interrompit en levant brusquement la main, puis inclina la tête pour s’excuser.

— Nous ne luttons pas contre la faim par la faim, murmura-t-il de la voix douce d’un jeune père en train de réprimander son enfant. Nous sommes des êtres humains. Nous luttons contre la faim en trouvant de la nourriture.

Il y eut un silence respectueux pour accueillir ces paroles, puis le témoin civil de Mona s’enhardit à déclarer :

— Bravo ! Nous sommes avec toi.

— Kaleb, lui dit alors Vénus, explique-moi comment nous pouvons vaincre Flatterie et nourrir les affamés, et nous te suivrons nous aussi.

— C’est simple à en pleurer, répondit Kaleb. Les données sont actuellement en train de s’afficher sur vos écrans. Comme tout le monde peut s’en rendre compte, nous avons absolument besoin de cette coopération mondiale dont parlait Twisp. Il faut pour cela que nous fassions passer Ozette et Galli à l’antenne sans plus tarder. Pouvons-nous compter sur la Voix de l’Ombre ?

— C’est vrai, dit Mona en tapant du plat de la main sur son écran. Il s’agit avant tout de bien synchroniser notre action. Le peuple ne peut rien faire si on ne lui explique pas comment. Il suivra Ben Ozette, il vénérera Crista Galli. Nous devons leur communiquer un plan d’action sans plus attendre.

— Mes hommes sont en train de s’infiltrer partout, déclara Kaleb d’une voix calme et confiante en avançant un menton volontaire qui était exactement celui de son père. Il y en a environ cinq mille, mêlés aux peuple. Il n’y a rien de mieux que le bouche-à-oreille parmi les pauvres.

— Macintosh n’a rien dit d’autre ? demanda Twisp. Snej hocha la tête, en se mordant la lèvre.

— Oui, dit-elle. Il nous annonce que Béatriz Tatoosh est à bord de la station orbitale et que l’eau du robinet l’a rendue malade.

Snej tourna vers Twisp un front plissé par la perplexité. Il sentit soudain son cœur battre à coups redoublés.

— C’est un code qui signifie qu’ils ont de gros ennuis là-haut. Flatterie a dû envoyer un commando de la sécurité avec Béatriz. Il doit soupçonner Mack de préparer quelque chose. Merde !

Il prit une profonde inspiration et expira lentement.

— Dommage qu’elle ne soit pas ici avec nous, dit-il. Et que Macintosh n’ait personne, là-haut, sur qui il puisse compter.

— Notre problème, pour l’instant, est de voir sur qui nous pouvons compter ici même, déclara Kaleb. Mobilisons toute la région du nord pour retrouver cet hydroptère.

Il se leva, visiblement prêt à partir immédiatement pour Victoria.

C’est ici que nous avons besoin de lui, pensa Twisp.

— Allons plutôt faire un petit tour, tous les deux, lui dit-il. Il te faut près de trois heures pour retourner là-bas et il y a sur place des gens compétents pour s’occuper des recherches. Nous allons descendre à l’Oracle, comme dans le bon vieux temps. Je crois qu’une petite visite de courtoisie au varech s’impose, pour lui demander ce qu’il peut bien nous mijoter en ce moment.

Le Facteur ascension
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